jeudi 4 mars 2010

ASTUCE POUR APPRIVOISER DE MOURIR

Il n'est rien que l'homme doive moins faire que juger puisqu'à juger, il a inventé le diable. Or il n'est rien que l'homme ne veuille juger, tant, depuis qu'il est entré dans le registre de la connaissance qui l'a fait sortir de celui de la dégustation, ne sachant guère où il va, il a peur d'où le mènent ses pas : en entrant dans la connaissance, il a pris peur de l'inconnu. Alors il s'est mis, tant qui'l y était, puisque c'était la chose du monde dont il savait le moins où elle le menait bien qu'il ne put échapper à "échapper", à s'inventer des croyances à propos de la mort afin d'apprivoiser l'indubitable fait qu'il devra un jour abandonner la place, du moins. Du moins l'abandonner sous la forme où il l'occupe actuellement et sous laquelle il éprouve actuellement sa condition sur ce terrain vague. J'essaie de mettre du liant où ne se sont que fixées de manière indépendante des étonnements idéatifs. J'ai entendu parler du diable lors d'une conversation entre Jacques duquesne et victor Malka sur "France culture" et j'ai moins cherché à rendre cette conversation qu'à la critiquer parce qu'elle ne m'a pas convenu, ne m'a pas convaincu. Ce journal ne se donne que des ambitions légères.

J'ai parlé du diable, je dis à présent un mot de la mort et je ne me jette sur ce thème que pour citer, parce que je l'ai trouvée incroyablement drôle, une remarque qu'a faite Mme scheidecker, habitante de la Résidence pour personnes agées où, à 36 ans, l'enlisement de ma vie m'a fait échouer par l'entremise et à l'initiative, peut-être justifiée, de ma mère.

Mme Scheidecker s'était fort ennuyée durant le petit spectacle que j'avais donné pour marquer, le 15 décembre dernier, l'avènement prochain de Noël. Elle s'était si fort ennuyée qu'avec ses corésidentes, Nathalie et moi étant en bout de table, la conversation dont nous étions exclus avait roulé sur les cimetières où l'on ne respectait plus rien et où on volait les fleurs à la toussaints et à Noël,et sur le moment de plier bagage. Et ce fut alors qu'elle dit, en rapprochant deux choses que je n'avais jamais entendues mêler pour nous tranquilliser de partir :
"enfin, ça doit être bien là-haut puisque personne n'a jamais eu l'idée d'en revenir !"

La même Mme Scheidecker, un spectacle plus tard, comme la gouvernante lui tendait l'appareil pour faire des photos, après avoir protesté que c'était déjà beaucoup de travail, eut la photo numérique heureuse. La seule qui avait réussi était celle qu'elle avait prise. Sur cette photo dont Mlle Karine la félicita, Mme scheidecker constata :
"en effet, sur cette photo, on voit mon derrière… Vous devriez l'accrocher en poster…" (Un postérieur en poster ?)

Le repas

Jean-Pierre, Jésus, Gérard… Peut-on tracer une ligne de conciliation entre ces trois figures dont deux au moins sont ouvertement séparatistes, tandis que l'image de celle qui est ici nommé au milieu, si elle n'est pas sans poser ses conditions duelles, apparaît du moins comme médiatrice, a cette image dans l'appréhension mentale que nous en avons collectivement ?

Gérard m'a invité à maints repas, mais il a, selon ses dires, c'est-à-dire à tout le moins selon son fantasme et son vouloir, assassiné et sacrifié quelqu'un pour le simple motif, non pas qu'il était juif, mais qu'il était "pédé" et qu'après que Gérard et son copain lui eurent donné le coup de poing (car à l'époque, on aimait le coup de poing et Gérard, en le disant, imitait le bruit que faisaient les coups qui pleuvaient comme mon père rêvait de se bagarrer… dans ces années fastes, on aimait le coup de poing, la vitesse et l'argent, on avait le goût d'entreprendre…), le gars avait crié :
"Maman !"
C'avait énervé Gérard et son copain qui étaient allés le dire aux flics. Mais comme les flics n'avaient rien fait (qu'auraient-ils dû faire ?), ils l'avaient égorgé tout simplement, il ne fallait pas chercher plus loin, il n'y avait pas mal à ça !

Gérard était un sacrificateur. Le pasteur qui avait donné à Thérèse un autre point de vue sur la pureté lui avait aussi, le même soir, inculqué un nouveau regard sur l'aspect sacrificiel qui semble à première vue lié à toute idée, à tout instinct religieux : il était parti du lieu commun, commode à résoudre "le scandale de la Passion du Christ", qu'il n'était pas possible que Jésus Fût né pour Etre Sacrifié, mais que le but qu'Il avait Poursuivi en s'incarnant avait été l'Eucharistie, la Cène, une manière de résoudre l'abandon de la chair obligée à la chaîne alimentaire, mais plus que cela au vrai, plus qu'une manière de résoudre le tragique de l'énigme humaine… Ce qui prouvait cette interprétation selon ce pasteur, était que, dans le judaïsme (qu'on pourrait très bien à cet égard envisager comme le modèle, l'universel de toutes les religions), le sacrifice ne poursuivait pas sa propre fin : il n'était que l'aspect superficiel sous lequel était suscité le début d'une relation humanodivine : il n'était qu'une invitation à un repas.... La fin de cette relation était les agapes que l'homme et Dieu pourraient partager de convivence.

Ce qu'on faisait de la part réservée à dieu après le sacrifice m'avait toujours paru à la fois risible et mystérieux (mais cela était tout aussi vrai de la part qu'on préparait pour les ancêtres lors des repas vietnamiens destinés à honorer leur mémoire). Je m'étais toujours figuré qu'un gros malin s'étant aperçu quelque jour, un peu comme dans la blague juive où les pièces que le rabbin envoie en l'air n'y restent pas, signe que Dieu n'en veut pas, qu'il en allait de même de la part que Lui et les ancêtres ne mangeaient pas, avait pris l'habitude de s'en empiffrer, ni vu, ni connu. Mais Thérèse devait me détromper :
"La part réservée à Dieu et à laquelle bien sûr, Il ne touchait pas, était brûlée, s'en allait en fumée, montait en prière, mais la fin du sacrifice n'en était pas moins assouvie, que l'homme et dieu fissent bonne chère de connivence…", me dit-elle.

gérard m'avait invité à maints repas : son défaut était d'être un sacrificateur. Et, pour autant qu'il faille conserver un pieux respect pour le sacrifice en lui-même, le moindre défaut de Gérard eût été de se constituer son propre sacrificateur, mais il voulait sacrifier les autres sans leur demander leur avis, un peu comme les auteurs des attentats suicide, en qui se manifeste la différence du martyre chrétien au martyre musulman, le premier semblant prouver que le sacrifice du christ n'aurait pas suffi une fois pour toutes puisqu'il n'avait pas épuisé la soif de sang de la terre sans préjuger de Sa valeur rédemptrice au point de vue cosmique, et le second martyre signifiant à ceux dont il prend la vie en même temps qu'il donne la sienne :
"vous pouvez bien mourir puisque je me tue !"

gérard m'invitait, mais voulait sacrifier du gibier humain : je l'ai toujours un peu pris pour le diable… Lorsqu'il m'arrivait d'aller prier pour lui chez les bénédictines de Jouarre, je me demandais en mon for intérieur si j'avais le droit de le fréquenter. Or - et pas seulement par faiblesse -, dominant mes scrupules, m'a toujours habité la conviction qu'on peut dîner avec n'importe qui sans voir la queue de la fourchette du diable, qu'il n'y a pas de mauvaise fréquentation puisqu'il n'y a pas d'homme indigne de vivre…

Il est évident que, pour moi, la crainte d'être idolâtre remplaçant celle d'être possédé, a transféré l'angoisse qui rend ma prière vulnérable et, par là, capable d'amour. Elle l'a transférée, humanisée et rendue plus mature. Anorexique qui ai simplement retrouvé l'appétit, je me trouve désarmé qu'il échappe à mon contrôle d'être une simple hantise. Il est pourtant plus mature d'avoir peur de se placer sous la dépendance de la substance d'une chose matérielle que dans la hantise d'une entité de laquelle on voudrait se prémunir. Car, derrière cet instinct de conservation et protection, il n'y a pas seulement de l'immaturité, il y a de l'égoïsme : on ne veut pas être hanté d'une entité, c'est-à-dire qu'on estime que le "moi" est une maison close, qu'on ne veut pas ouvrir à tout vent de risque et de péril… On ne peut pas avoir "la maîtrise de soi, mais on peut viser à acquérir la maîtrise des choses, l'usage du monde !

On a beaucoup fait grief au christianisme d'avoir inventé le diable pour tenir les gens en haleine, voire en apné existentielle. Je crois pour ma part que, si le christianisme en a rajouté sur le diable et sur la dualité entre le bien et le mal, non seulement il ne l'a pas inventée comme on sait puisqu'elle est, certes marginalement, mais présente dans le livre de Job : le christianisme, en outre, a fait la transposition inverse de celle dont ma prière a cru faire un progrès spirituel. Dès lors que le christianisme posait que Dieu pouvait être mêlé à de l'impur et que l'idolâtrie ne se situait pas à ce niveau, il devait tout de même restituer la balance très nette que l'Ancien Testament dont il était issu, faisait entre l'unique objet d'adoration que devait être Dieu et l'abomination qui commençait dès qu'on sortait de Sa juridiction et du désir de sa bénédiction. La façon dont le christianisme a inventé de faire cette transposition a été de simplifier le problème de la dualité entre dieu et tout ce qui ne l'était pas. Le diable est né de là, comme une condensation de tout ce manque à être qui est de l'être déprécié. Le diable est de l'être qui s'est déprécié et qui déprécie moins ce qu'il touche que ce qui lui donne du prix. Mais, pour être la condensation de tout ce qui va contre dieu, le diable n'est pas un contredieu parce qu'au principe et en principe, pour Dieu, il n'y a rien d'impur, il n'y a rien qui puisse aller contre sans son aval. Le mal ne commence qu'à partir du moment où l'homme veut obliger Dieu à se positionner et à partager avec lui le mets du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal que certes, Dieu Connaît en Puissance, mais Dieu ne veut pas entrer dans l'acte de cette connaissance, dans cette Volonté de Connaître, dans les catégories de la qualification. Dieu ne veut pas être qualifiant. Dieu donne de la substance en proposant à l'homme de déterminer le substantif. Ainsi fait-Il quand Il observe comment l'homme va nommer les choses qu'Il lui a données. Mais autant Dieu est Intéressé à produire de la qualité substantielle, autant l'homme ne veut rien tant que qualifier cette substance. Il veut affubler de l'adjectif le nom que Dieu lui a donné. Le diable n'est donc pas une invention de dieu, il ne peut donc pas être un antidieu : le diable est une invention de la volonté de juger de l'homme, c'est la quatrième personne du singulier, celle qui s'érige en instance critique au-delà du neutre objectif qui suivait lui-même la conscience subjective parlant au "moi". La quatrième personne du singulier, celle qui défraye la finalité ternaire de la personne humaine ancrée dans l'objectivité et comme en amitié avec elle-même à travers cet ancrage, celle qui déchaîne la zizanie en activant l'indéfini réseau des raisons et des torts, voilà ce qu'est le diable. Dieu est symbolique et le diable est critique. .

JEAN-PIERRE

Dans mon rêve, Gérard avait joué pour moi le rôle que, dans la réalité, Jean-Pierre était venu incarner durant la longue agonie-maladie de mon père. A la suite d'une erreur médicale, mon père avait perdu l'usage de ses membres inférieurs. Il avait fini par être admis, après de longs mois en néphrologie, dans une chambre minuscule du service de rééducation. C'est là que Jean-Pierre était venu le voir : à Mulhouse, ville qui aime beaucoup à faire et défaire les réputations pour que ne soit jamais avachi le poids de la honte et que l'honneur soit sauf en toute circonstance, Jean-Pierre avait le malheur de passer pour un fou - et sans doute, au regard de ceux qui ne croisent jamais la réalité avec quoi que ce soit qui passe l'imagination, de ceux qui ont l'étroitesse de ne pouvoir imaginer, ni qu'il puisse y avoir un vrai qui passe le vraisemblable, niqu'il puisse y avoir plusieurs plans de réalité dans l'un desquels au moins le délire détienne une part de vérité, cette réputation n'était-elle pas usurpée -.

Jean-Pierre adressa à mon père cette objurgation qui ne se voulait, ni parodique, ni évangélique :
"Je suis venu pour que tu te lèves, que tu prennes tes affaires et que tu rentres chez toi."
Jean-Pierre était lui-même un grand marcheur et les affaires de mon père (qui avait été, du temps de sa vie active, "un homme d'affaires" que les désaccords familiaux avaient menacé d'être placé sous tutelle) devenaient, dans le langage de Jean-Pierre, l'équivalent du grabat, de la civière que devait quitter le paralytique. Mon père ni sa maîtresse n'avaient du tout apprécié la sortie de Jean-Pierre que mon frère et moi avions trouvé magnifique, d'autant que la folie supposé de (ou attribuée à) Jean-Pierre ne présentait rien de mystique. : outre que l'homme était pornographe à ses heures, ce dont mes frères firent trop précocément les frais, non que Jean-Pierre s'en fût jamais pris à eux, mais leur avait montré des images qui n'étaient pas de leur âge, ce qu'ils ne lui pardonnèrent jamais, sa folie était séparatisste en ce qu'elle le coupait du monde, mais aussi séparatrice des populations de celui-ci en fonction, non de la couleur de la peau, mais de celle des cheveux et des yeux. Séparatrice, la folie de Jean-Pierre ambitionnait pourtant d'accomplir, vis-à-vis de mon père, un geste réparateur. Gérard, Jean-Pierre, Jésus, avait-on le droit de tracer une ligne entre ces trois figures, dont le dernier nommé est notre curateur, le curateur de tous ceux qui ne veulent pas guérir, et parfois guérir de leur folie ? Le plus fort était que Jean-Pierre, abjurant mon père de se lever, avait peut-être touché juste quant aufait que sa paralysie n'était peut-être pas aussi totale que la Faculté ne l'avait décrété en la voyant à l'œuvre à travers ses membres en désoeuvrement depuis qu'une coronographie qui avait mal tourné avait déplacé un atérome de cholestérole, ce qui avait fait perdre toute mobilité à ses membres inférieurs, comme je l'ai dit. Or il lui arrivait fréquemment de rêver qu'il se battait et de croire à ce rêve lorsque celui-ci devenait éveillé, ce qui porte le nom de délire dans le langage des esprits forts et positifs. Un jour qu'il faisait le récit de l'une de ses bagarres et que mon frère aîné lui marquait son incrédulité, mon père l'admonesta :
"veux-tu que je te montre comment je suis capable de joindre le geste à la parole ?"
Et, sans attendre une réponse qui se fût à nouveau élevée comme une déclaration, comme une protestation d'impossibilité, mon père simula qu'il donnait un coup de pied à ce contradicteur importun qui croyait ses membres imbéciles. Son pied bougea vraiment. Héberlué, mon frère n'eut de cesse de faire entendre aux médecins qu'il avait vu le pied de son père remuer. Ceux-ci ne voulurent positivement rien entendre et décidèrent qu'il ne fallait voir dans cet entêtement à dire qu'un pied avait bougé que l'hallucination visuelle d'un fils qui supportait si péniblement l'immobilité de cette vie sans issue qu'il était entré pour un instant dans celle que lui offrait le délire de songéniteur. A moins que ces médecins, moins roués qu'habitués au miracle et résignés, une fois pour toutes, à ne pas en découdre avec lui, en vertu du principe qu'en science, l'exception est ce avec quoi il ne faut pas compter pour rester empirique et rationel, n'eussent établi pour protocole, chaque fois qu'une telle observation serait évoquée devant eux, voire chaque fois qu'ils auraient occasion de la faire eux-mêmes, de la tenir pour nulle et non avenue.

LE REVE DE GERARD

Le rêve de Gérard n'est pas placé ici pour illustrer ce qui précède et pourtant, il le fait d'une telle manière qu'on ne peut guère aller plus loin. J'ai fait ce rêve avant d'avoir assisté à la conférence où thérèse me donna ce point de vue sur l'idolâtrie. Je l'ai fait à l'hôpital Bichat où je fus admis huit jours a peine après avoir déménagé, parce que j'étais retourné à Paris sous prétexte d'y faire ce qui restait à faire comme les états des lieux des appartements que nous quittions et parce que je voulais surtout faire mes adieux aux copains, me consoler de quitter un Paris où je n'avais pas assez vécu à mon goût, malgré les dix-neuf années que j'y avais passées et où il me semblait enfin commencer à savoir vivre, ce dont je fis la preuve durant ce bref séjour en me cassant le bras, après être tombé sur mon sac, disposé au beau milieu de ma chambre d'hôtel… Je m'étais déjà cassé un premier bras deux ans et demie auparavant pour me punir d'une infidélité que j'avais commise. Je me cassais celui-ci comme une déclaration que j'aurais voulu rester encore un peu, que je ne comprenais pas l'enchaînement de circonstances qui m'avait amené, moi qui avais toujours mené ma vie dans l'indépendance la plusirréductible, à me laisser persuader par ma mère que la meilleure solution pour Nathalie et bientôt pour moi était que nous, et surtout que je revienne dans cette ville de mon passé, près de cette mère que j'avais quitté à l'âge de treize ans, pour me refaire et refaire ma vie, moi qui rêvais si souvent que je revenais vivre chez mon père pour repasser mon bac, mais qu'au dernier moment, le jour de la rentrée, parce que je trouvais ça pesant ou parce que j'avais une panne de réveil, j'oubliais d'aller à l'école...

A l'hôpital, lorsque je rêvai de Gérard, ce copain, cet aveugle nazi que j'avais rencontré à Paris et qui m'avait tant de fois, étudiant, invité à banqueter, qui m'avait partagé le pain de son amitié lorsque j'étais pauvre et seul avant de m'avouer un soir, comme si de rien n'était, comme s'il ne me balançait rien qui eût de l'importance, qu'avant d'avoir été nazi, il avait égorgé quelqu'un et qu'il ne le regrettait pas, qu'il n'avait jamais payé son acte parce que ça ne s'était jamais su et puis que, maintenant, il y avait prescription, ce qui faisait par exemple qu'il pouvait me le dire sans risque ; lorsque je rêvais de lui qui avait fait tout cela pour moi et qui pensait tout cela contre les autres, qui m'avait avoué tout cela dans la réalité, c'était la nuit où enfin, après deux jours sans qu'on eût donné de consignes,aux infirmières sur les antidouleurs qu'elles avaient le droit ou non de m'administrer, on avait accédé à ma demande de me faire une piqûre de morfine. Je dormis comme un bébé et, dans mon rêve, Gérard venaità l'hôpital, il venait me chercher. Il venait m'offrir de boire un coup, il était déjà saoul. Il conduisait une voiture. Je le suivis avec méfiance sous la promesse qu'il me ramènerait à l'hôpital sitôt que nous aurions bu notre verre. Il s'assit aux commandes de sa voiture - il n'y voyait pas plus que dans la réalité -, mais il la pilotait bien. Il ne fut pas long à trouver un bistrot en face duquel il se gara tout droit. Seulement cet aveugle qui sortait d'une voiture qui pilotait avec, à ses côtés, à la place du mort, un bras cassé, suscita aussi la méfiance du bistrotier devant lequel il venait de stationner et il ne fallut rien de moins que la promesse du bras cassé que j'étais que nous ne boirions qu'un seul verre pour qu'il nous servît. De fait, Gérard fut le premier à tenir ma promesse puisque, notre verre terminé, il ne me laissa pas le temps d'avoir l'idée d'en commander unsecond avant de me faire entendre très fermement que le temps était venu pour nous de repartir. Nous rembarquions dans la voiture et je gagnais en confiance : je trouvais qu'il conduisait avec assurance bien qu'il fît du rodéo. Il me dit que c'était parce qu'il avait un GPS. Sur ce, il se remit à parler d'Hitler. Il m'avait toujours dit que lui et moi n'avions pas le même chemin, mais que nous avions le même port. J'en avais par le passé tiré argument pour espérer le convertir. Mais pour un coup que je rêvais et tandis qu'il slalomait entre les voitures, il pouvait bien se débrider :
"qui te dit que toi et moi, nous n'irons pas tous les deux au paradis et que, tandis que tu seras accueilli par Jésus, je serai accueilli par Hitler, ce qui ne nous empêchera pas de manger ensemble…"
Je crois que je commençais par acquiescer à son hypothèse avant que l'horreur que j'éprouvais de n'avoir pas été aussitôt révulsé ne me réveillât pour de bon…

La pureté selon Thérèse

A l'invitation de Thérèse, nous sommes allés tous les deux écouter la conférence que donnait Mgr Doré sur :
"Quel prêtre pour demain ?"
En aparté de ce qui va suivre, Mgr doré y exprimait entre autres que le monde ne s'intéressait plus du tout à l'Eglise ; je lui demandai, au cours des salutations qui suivirent s'il ne pensait pas que, si le monde ne s'intéressait plus à l'Eglise, ce n'était pas que l'Eglise ne s'intéresse plus qu'à elle-même. Mgr Doré exhortait aussi les laïques à ne pas hésiter à prendre la parole dans le monde. Je lui ai fait remarquer qu'il oubliait peut-être de les inviter à prendre la parole dans l'Eglise. On a beaucoup mis en valeur le diaconat ou "ministère du seuil, de la porte, du parvis". On a permis que les diacres parlent en chaire. (Le parvis mènerait-il à la chair ?) Les laïques n'ont jamais reçu une telle invitation à s'exprimer, ni pour partager l'Evangile à l'occasion d'un échange qui eût lieu au cours d'une messe, ni pour apporter un regard original à travers une homélie qui leur serait spécifiquement confiée.

Mgr doré notait qu'il ne se trouva jamais d'époque, historiquement, où les fidèles n'eussent été bien informés du contenu de la Foi qu'ils confessaient et que, dès lors, c'était aux clercs à leur enseigner le contenu de cette Foi. Mais une chose est que les clercs enseignent, une autre est qu'ils sachent à la fois enseigner et actualiser. Le cléricalisme a jadis confié au laïcat, comme une tâche de relégation, la charge du temporel. L'Eglise qui a suivi le dernier concile se défend beaucoup d'être restée cléricale, mais elle n'oserait pas donner la parole aux laïques. Eclésiocentrique comme il y a des "egos" qui se croient le nombril du monde, cette institution qui se dit "experte en humanité", rien que ça, ne sait plus parler aux hommes. Elle est au service de la "religion du verbe" et elle accompagne la mort du langage parce qu'au moment où elle a pris conscience qu'il y a un "peuple de Dieu", elle réduit aussitôt ce peuple au silence et en "troupeau" : elle le traite de manière pastorale et ne dit certes plus son rosaire, mais rabâche sa messe, certes non à la façon des messes basses qui étaient annonées en latin, mais à quoi rime-t-il qu'on ait perdu son latin si les prières eucharistiques sont rédigées de façon tellement littéraire qu'il faut être drôlement versé dans le langage de la religion pour les comprendre ? Je reste marqué par cette anecdote que racontait le Père Daniel ange, le même à qui il arrivait en privé de célébrer une messe de Saint-Pi V avant que le"motu proprio" du souverain pontife actuel ait réputé invalide la pseudointerdiction dont ce rite, proclamé ad perpetuum quatre siècles plus tôt, avait été frappé : eh bien, ce prêtre, qui faisait ses délices des beautés latines du rite romain, un jour qu'il se trouva mis en présence d'une assistance composée de malades psychiques, vit l'impossibilité où il serait de leur faire comprendre ce pourquoi on allait prier pendant la messe et passa le temps qu'il avait à prononcer la prière eucharistique à faire de la traduction simultanée. Je ferai appel à une autre personnalité pour apporter de l'eau au moulin de daniel ange : Thierry Ardisson, un catholique d'un autre genre qui, comme on lui demandait ce qu'il pensait de la messe, répartit :
"La messe, très bien, mais mal produit !"
Thierry Ardisson a été publicitaire. Il y avait peut-être quelqu'expertise dans son avis.

Au sortir de la conférence, Thérèse et moi allâmes prendre un thé dans mon tout nouvel appartement. Elle me dit qu'à la dernière rencontre des amitiés judéochrétiennes à laquelle elle avait participé, un pasteur leur avait parlé de la sainteté. Il en ressortait que la sainteté avait été de tout temps associée à la pureté et à un appel au dépassement et à la perfection, en regard de la perfection divine. Le premier Testament avait particulièrement mis l'accent sur ce point. L'une des façons dont cela s'illustrait était que dieu s'y montrait jaloux que le peuple ne se fît pas d'idoles pour les adorer de concurrence avec Lui. Je marquais à Thérèse que la récurrence de l'antiidolâtrie comme light-motiv de l'Ancien testament devenait une obsession pour moi qui me demandais si je ne livrais pas mon âme aux idoles après avoir été hanté par l'idée que je pusse être possédé. Paar exemple, je me demande si le cas que je fais de l'alcool, non que je boive systématiquement, mais qu'il me faut pouvoir me dire que je peux boire quand il me plaira pour que je ne me sente pas vivre sous un régime de privation, ne fait pas jouer à cet adjuvant le rôle que Lacan assigne à l'objet petit A, objet transitionnel, doudou, sans lequel l'enfant croit que la vie serait impossible si, tout à coup, une main malveillante venait à luiretirer, non seulement la source de tant de plaisirs, mais ce sans quoi sa situation lui paraîtrait invivable sans compter que la vie en perdrait tout son sens. Mais peut-on assimiler l'objet petit A à une idole ? Je ne sais pourquoi je ne puis me résoudre à le croire. Quand j'essaie de raisonner l'inadéquation que je veux voir dans cette assimilation peut-être plus qu'elle n'y est réellement, ce que je vois est que l'objet petit a est un ours en peluche, quelque chose par quoi l'on se donne de l'affection qu'on ne reçoit pas intégralement du monde. On investit dans cette peluche, on la détourne de ce qu'elle est à simplement parler : un objet d'industrie humaine et en cela, il est vrai, l'objet petit A a un point commun avec une idole. Une autre convergence se trouve encore dans le fait qu'à travers l'objet de substitution appelé petit A par Lacan dans lequel on transfert les frustrations de ses refoulements, on s'empare de quelque chose. L'idole est également une façon de s'emparer de la matière pour, en définitive,avoir la mainmise et de l'emprise sur Dieu. Mais la différence entre l'idole et l'objet petit A me semble résider en ceci qu'à moins d'accepter d'être le croyant d'une Foi-refuge et de n'avoir Dieu que pour croire en quelque chose, l'idole est un détournement conscient tandis que l'objet petit A est un lien déficient. Assimiler l'idole à l'objet petit A, ce serait par contre-coup accuser la déficience de Dieu.

Mais Thérèse n'avait pas fini d'exposer la pensée de son pasteur relativement à la sainteté vue à travers les deux testaments. Celui-ci fit en effet valoir que la différence entre la perception de l'Ancien et celle du nouveau testament quant à la pureté, résidait en ceci que Dieu ne pouvait s'assimiler à rien d'impur dans la première Alliance et que c'était de là que venaient les interdits alimentaires ; au contraire, le visage que Jésus donne à la divinité est celui d'un dieu qui accepte les mélanges : il accepte de se mêler à l'homme sans se frayer avec son péché. L'exemple qu'il en donnait est cette pratique qu'Il propose de laisser croître ensemble l'ivraie avec le bon grain, de ne pas arracher l'ivraie. Jésus Se mêle sans se commettre. J'avais déjà lu une variation de cette pensée dans ce qui m'a le plus marqué à la lecture de la grande Sainte-Thérèse (dont j'étais sûr qu'elle était la patronne de celle qui venait de me raconter comment "le cœur pur" selon dieu n'a que faire de s'abstenir de mal penser). L'auteur du "CHEMIN DE PERFECTION" écrit dans "LE CHATEAU INTERIEUR" que ce qui donne le plus de saisissement à ceux qui entrent dans la dernière demeure de l'union mystique, celle où la fiancée est dans la chambre du roi, est qu'au sein de cet amour qui est désormais totalement détaché d'aucune chose qui ne soit pas lui, la fiancée se rend compte avec une horreur mêlée de joie qu'avant qu'elle ne soit tout à celui qu'elle aime, ce n'est pas seulement contre son amour qu'elle s'est rebellée, ce n'est pas seulement à son roi qu'elle a désobéi : c'est en Lui qu'elle a péché, comme si, péchant en Lui, ce n'était plus l'amant, mais l'amante qui inséminait l'époux. Ce qui émerveillait peut-être le plus la sainte du point de vue humoral, c'était que l'Epoux divin acceptât volontairement de Se laisser inséminer par son épouse, toute indigne que fût cette semence et la plus opposée à Lui puisqu'elle n'était rien d'autre que le péché qui ne saurait avoir nulle part avec Dieu.

Journal idéatif

CHAPITRE PREMIER

LA PRODUCTION DES IDOLES



Depuis que je suis arrivé ici, à Mulhouse, où j'ai emménagé officiellement le 12 novembre dernier, je nourris le projet de collationner ce que je recevrais, à commencer par les idées. Pour autant que je souhaite évoquer ici des "IDEES RECUES" et que ce journal soit, partant, un "JOURNAL DES IDEES RECUES -, le clin d'œil à Flaubert s'arrêterait là, car les idées en question ne seraient tant reçues que dans la mesure où elles m'auraient été apportées de l'extérieur et qu'à la différence de mes écrits antérieurs que je suis peut-être venu ici pour mettre en œuvre, je ne les aurais pas émises. Je ne sais si l'espace d'écriture que j'ouvre ce soir (22 décembre 2009) ne se bornera qu'à ne ramasser que des idées : j'aimerais aussi y raconter mes rencontres et y glaner mes rêves…