dimanche 24 juillet 2016

L'orgue, immédiat médiateur

L'orgue n'est pas un instrument pour mélomanes. Toutes les fautes qu'on y fait s'y entendent, y compris les fautes de goût. Mais elles peuvent se corriger aussi vite qu'on les a faites. Donc l'orgue met un manteau de Noé sur l'organiste qui perd les pédales. Le mélomane est le snobe qui tousse proustiennement entre les pièces d'un concert, et sait discerner d'insaisissables détails où se niche le travail du musicien averti. L'orgue ne fait pas dans le détail. Ce n'est pas un instrument snobe. C'est une école d'ajustement, où celui qui l'écoute entend quand le musicien s'accorde ou se raccorde à soi-même. L'orgue est la seule chance qu'un musicien ait de s'atteindre, si perfectible que soit l'exécution. Tous les organistes sont censés partager le même répertoire. Mais on reconnaît le style de chacun."Le style, c'est l'homme", et tous les organistes ont du style, puisque leur style est reconnaissable. L'orgue ne fait pas dans le détail, mais fait dans la dentelle. L'orgue est médiateur et immédiat. Nombreux sont ceux qui ont retrouvé la foi par l'orgue. Je crois bien être de ceux-là. L'orgue est un sacramental. L'organiste prie souvent les anges pour qu'ils le secondent, et quand il rend son service, ce qui se passe le dépasse. Il fait des mains et des pieds et prend rarement son pied, mais Dieu descend sur son angoisse qui s'efforce et se fait Sacrement par son modeste concours. L'orgue permet de ne pas choisir entre liberté et imitation. ON est libre à la console, à la mesure du gigantisme du buffet, et des mille occasions qu'on a de se tromper si l'on registre mal. On improvise en imitant, car on n'est jamais mieux servi que par les autres. L'orgue est un "son et couleurs" qui chante son amour de Dieu dans une langue qui ne sera jamais folklorique ou démodée, car le cœur de l'homme a besoin du clavecin, de la harpe et de l'orgue. L'organiste aime Dieu en dépit de lui-même. Il crée du lien et il est seul. IL peut être cabot, mais il est humble avec ou sans le dire. Il sait bien qu'il joue par miracle... Julien, insuffisant et complexé.

samedi 9 juillet 2016

Ma vie dans l'écriture

"Que fais-tu dans la vie ?" est la question la plus perfide que l'on puisse se voir adresser. Car on ne peut pas répondre : "Je ne fais rien" ou "j'écris". Mon ami de plume dont j'ai tout appris, de la poésie au chant grégorien, comme nous le recevions un jour à table, nous dit tout d'un coup : "Au fond, j'aurai écrit toute ma vie et écrire m'aura aidé à vivre." Je ne peux pas raconter ma vie, mais je peux raconter ma vie dans l'écriture. J'écris depuis l'âge de dix ans. J'ai commencé par des pastiches de Pagnol ou de Molière en ne sachant pas qu'on préférait toujours l'original à la copie et que mes copies n'étaient pas originales. Je n'ai jamais eu de livre-culte, mais je voulais devenir Proust. Du moins, à cette époque, j'avais de l'imagination. Je l'ai perdue à force de boire. L'alcool a été ma madeleine de Proust. Quand on boit, on perd l'imaginatiion, pas la mémoire. Bien au contraire, les vannes de la mémoire s'ouvrent, désinhibées, et on se souvient de tout. Pas au point de raconter sa vie, ça n'aurait aucun sens. On ne peut rien tirer de général de sa biographie. J'écris pour me décloisonner, mais pas au point de tout dire. Les gens heureux n'ont pas d'histoire, mais les gens qui ont trop d'histoire n'ont que de la fierté. La mémoire n'est pas faite pour le bonheur, mais pour la nostalgie. J'ai commencé par écrire des œuvres d'imagination et à onze ans, je racontais ma conversion. Je voulais écrire avant d'avoir lu, je n'ai pas changé. J'écris pour penser, pas pour faire des phrases. J'ai passé un bac littéraire et suis monté à Paris pour suivre des études à la Sorbonne. Ma déconvenue fut immédiate quand je m'aperçus, dès le premier cours, qu'on y vouait un culte aux grands morts et rien au-delà. J'aurais voulu avoir écrit LES SOUFFRANCES DU JEUNE WERTHER, mais Göthem'avait piquél'idée. Je connus ma traversée du désert. Un soir, en revenant de dîner à Montmartre avec une amie compositrice qui avait abandonné la musique par mysticisme, je me remis à écrire frénétiquement dans mon journal. J'avais retrouvé la consolation de l'écriture existentielle, mais je voulais qu'elle fût adressée. J'entrepris d'écrire une apologie de la religion chrétienne sans savoir que Pascal y avait pensé avant moi. La mort ne m'arrêta pas comme lui, mais j'échouais. De cet échec, ne me resta que l'idée qu'on aime Dieu à partir de soi-même, et je voulus déployer mon univers pour Le prouver. J'ai toujours été diariste, c'est ma meilleure part. Les trois tomes de mon journal politique étant bien avancés, j'ouvris mon journal intuitif. Je ne savais comment l'organiser, j'optai pour un abécédaire. J'ai toujours eu des idées simples que je trouvais sous la torture, d'où mon expression tortueuse. Mes aphorismes ont été taillés dans mon journal intuitif. Ils en sont une miniature. J'ai organisé une progression thématique pour catéchiser mon psychisme. Ils déploient l'apologie d'un mental et l'univers de mes pensées. Ils sont ma doctrine, ma biographie sera ma Bible : la chronique de tous les destins constitue le Livre de vie. La Bible, comme les romans, est sans doctrine. Mes aphorismes sont ma doctrine contrariée.