lundi 2 janvier 2017

Rupture d'intériorité

(Troisième partie de « Je ne Te cherche plus, Seigneur ») Seigneur, j’ai peur, comme tous les provocateurs. Tu m’avais donné une belle vocation. J’ai eu peur. Je suis devenu provocateur. Déjà, bachelier, on me disait : « Tu aimes à choquer ». Je pissais dans la rue pour scandaliser les bourgeois. Les provocateurs sont sans défense, Alors ils attaquent, ils sont chabraques. J’étais né malingre et soumis. Je n’opposais rien au chagrin qui me terrassait dès mes cinq ans. J’étais la patience incarnée. La sœur qui séchait mes larmes Me chantait : « Réjouis-toi Marie ». Elle est à Madagascar. La musique malgache est la plus belle du monde. Les chabraques attaquent, Et ceux qui n’étaient pas faits pour le combat, ne trouvent pas leur place dans la vie. Affligé d’une infirmité sociale, Je me suis désocialisé, La paresse et la lâcheté aidant. Je n’étais pas un imbécile, Mais un paresseux et un lâche. Claudel ne disait pas mieux de lui, Il avait « beaucoup de moyens ». J’avais le travail facile, J’aimais faire les choses à la dernière minute, Et ne pas méticuleusement poser mon manteau sur le dossier de la chaise. J’avais un peu le trac Quand je passais un examen, Mais je n’en voyais pas la nécessité. Au bout de trop d’années delutte, L’agneau que j’étais s’est transformé en lion, Endossant fièrement mon totem astral, le taureau, ce propriétaire. Je suis passé de la vocation à la provocation, De l’absence de défense à l’attaque (j’aurais dû devenir avocat), Et de l’agneau au taureau. Ce n’est pas une déculotée transgressive, C’est une régression intérieure, Rendue indispensable par la loi de la vie. Je n’irai pas en enfer, car j’accumule les remords. Ne pas en avoir, c’est mourir deux fois. L’enfer, c’est l’absence de remords Et le diable, c’est l’engrenage. La loi de la vie est la loi des séries. La loi de la vie combat la loi de Dieu. Le Créateur a donné toute latitude à la nature. Mais IL pleure sur ce qu’elle a fait de sa liberté. A treize ans, j’ai découvert l’insomnie, Et puis j’ai eu peur de m’endormiir, enfin j’ai fui le sommeil comme le sommeil m’avait quitté. « Il ne te manque pour être éveillé Que d’être décloisonné », M’a dit Jean-Paul bourre enme faisant traverser. Nous ne nous étions jamais vus. Le Créateur ne dépose pas la nature. Mais il s’oppose à ses lois qui restent légitimes En vertu de la liberté de la nature. Le Créateur s’oppose aux lois naturelles En soustrayant ceux qu’elles affligent A leur pouvoir de nuisance. A treize ans, je voulais faire oraison. L’insomnie m’a donné peur du silence. Aujourd’hui je ne sais plus prier. Le Créateur soustrait Ceux que la nature afflige En devenant ces dépouillés. « Un pauvre a crié, Le Seigneur entend », Il devient l’objet du mauvais sort. Le sort ne s’est pas acharné contre moi. Mais comme j’attaquais sans savoir me battre, Je ne pouvais pas gagner. Le Seigneur entend-il la prière de celui qui ne sait plus prier, En qui seul l’Esprit gémit : « Père » ? Nous avons répudié le père, Nous nous sommes décapités En nous coupant de notre chef. Le mien aimait beaucoup l’enfant que j’étais. Mais come il avait été orphelin très jeune, Il tint à se fâcher avec l’adulte que je deviendrais. Ce n’est pas moi qui ai tué le père, J’ai toujours trouvé cette injonction suicidaire, C’est lui qui m’a renié. Son reniement était partiel, il m’a dit : « tu dilapideras », Et j’ai dilapidé son héritage. Mon père m’a déshérité En lançant contre moi la fatwa qu’il me fallait dilapider. J’ai la nostalgie de prier, Je voudrais savoir travailler, Et je voudrais savoir me battre. Je ne voudrais pas attaquer, Ni me défendre, mais me battre, Peut-on se donner un tempérament ? Je ne crois pas en la conversion, Car je n’ai jamais vu un tempérament changer, Je ne demande qu’à être démenti. Quand je te dis, Seigneur, Que je ne te cherche plus, D’abord je suis fier de mabravade, Et puis je déplore ce constat. Je ne te cherche plus, Car je suis en rupture d’intériorité, Les détournements de ma vie ont conspiré contre elle. La vie procède à un détournement de notre vocation En tribulations et provocations. Quelle est la véritable histoire Que raconte le langage des événements, celle de notre âme ou de notre moi ? La vie procède à une subversion de notre histoire Par rapport à l’écran plat, Au transparent que notre créateur Aurait voulu faire de notre vie. Le créateur aurait-Il voulu Que notre histoire consonne Avec notre personnalité ? Nos destins ressemblent plus A nos caractères Qu’à nos personnalités. Notre existence donne une histoire A une vie qui eût été un reflet, Sans être jetée dans l’expérience. « Bienheureuse [expérience] ou faute de l’homme, Qui nous valut un tel sauveur », Un Dieu détournant la nature. La destinée est diversion, La vocation est conversion, je ne sais pas revenir à moi. Pour revenir à moi, il faudrait que je me ressaisisse, or je ne peux pas me saisir, Moi que Dieu n’a pas saisi. Un jour IL m’a touché. Mais je ne lui ai pas tout donné. Alors IL m’a abandonné. Dieu m’a en partie renié, Après mon reniement total, Dieu demandetout. En rupture d’intériorité, Voilà le tableau sans retouche De celui qui attend la visitation de sa très sainte trinité. Je ne te cherche plus, Seigneur, Mais si Tu me saisis, Tu combleras mon plus cher désir, Qui est de T’appartenir .

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