samedi 17 février 2018

Mes camarades de musée


 
Je me suis rendu au forum des associations du phare (école spécialisée dans la déficience visuelle à Mulhouse, et qui accompagne aussi les adultes dans certaines démarches de leur vie sociale…). Je ne pensais à rien de particulier en y allant. J’ai fait le trajet aller avec un kyné nommé Joseph, désormais membre du Conseil d’administration de la Fondation, mais surtout ami très estimé de Mme Alario, mon ancienne kyné dont le cabinet est tout près de chez moi,  qui m’en avait beaucoup parlé lorsque j’allais la voir (je l’ai eue au téléphone il y a deux jours).

 

Le chauffeur de l’aller avait amenée Stéphanie juste avant nous. Franck et moi en avions été très amoureux, adolescents. Nous nous étions même battus pour elle pendant toute une année. Stéphanie était, avec Valérie, une des sept membres de la petite pétaudière qui nous servait de classe, et où franck et moi imprimions le rythme de notre folie, génie, malheur et révolte. « Je suis fou, drôle et malheureux/Un enfant oublié de Dieu… » avait écrit Franck dans une chanson à propos de lui-même. Sandra (l’extraordinaire psychologue du Phare) m’a appris au cours de  la réunion que Stéphanie était très investie dans le club de tandem. Ça m’a étonné. Elle jouait beaucoup à la poupée, mais elle n’était pas très sportive. Je ne l’ai pas croisée. Je me suis inscrit au club de tandem, mais ce n’était pas à cause de Stéphanie.

 

Or quelle ne fut pas ma surprise qu’une Valérie Jaeger participe à la promotion de l’association « L’art au-delà du regard ». Je ne l’aurais pas reconnue comme étant la Valérie de ma classe. Un air décidé restait sa marque de fabrique. Mais quel rapport avec la personne qui, d’une part, déplorait auprès de dominique Condello qu’on ait peu réagi quand son frère Etienne était mort (je ne pouvais pas réagir, je ne le savais pas ; et quand j’ai réagi, en appelant sa mère plus souvent que Valérie ne le faisait elle-même, m’a dit Mme Jaeger,Valérie ne m’a jamais rappelé. Il m’a été raconté qu’Etienne était mort de la maladie qui devrait m’emporter si la vie et la santé étaient logiques. Je me souviens quand il m’a raccompagné au café de la poste, rue de l’Arc-en-ciel à Strasbourg. Il leur a dit : « Je vous amène un client sérieux. » Et c’est lui qui est parti avant moi. Il était pourtant plus jeune que moi et je paraissais plus fragile. Est-il vraiment mort de ça, ou bien d’une crise cardiaque comme me l’a dit sa mère ? Je ne le saurai jamais et ce n’est pas à moi dedémêler de quoi Etienne est mort.)

 

Ces Jaeger étaient des gens très « conformistes », disait mon père. Valérie avait eu une enfance tracée : certes la couveuse et la cécité, mais un père catholique et fonctionnaire que Franck et moi nous amusions à effrayer en lui hurlant dans le hall de l’internat, quand il y pénétrait pour chercher sa fille demi pensionnaire à qui nous menions la vie dure : « Nous sommes dans les galères macédoniennes, ho ho ho !  «  Mon père avait eu la tuberculose, le père Jaeger n’avait rien eu du tout. Il éclatait d’une santé qui n’était pas étincelante, mais qui lui permettait de me dire à moi , quand ma mère me faisait lui téléphoner pour qu’il vienne me chercher le matin (« c’était sur sa route », disait-elle, tu parles !) quand elle avait la gueule de bois, que c’était inadmissible d’élever un enfantdans ces conditions, en comptant sur les autres, à quoi sa fille Valérie, qui avait beaucoup de commisération pour Franck et pour moi, qui pourtant lui faisions la misère, répondait que, quand même, je n’y étais pour rien.

 

Le père Jaeger n’avait jamais rien eu. Jusqu’au jour où, son fils étant mort, il fut affecté d’une drôle de maladie. - Est-ce cette maladie qui tient Valérie éloignée de ses parents ? - Il parle d’unevoix de fausset, et sa femme Simone, qui est seule avec lui, s’en occupe comme d’un enfant, le fait dîner, le couche, c’est elle encore qui me l’a raconté la dernière fois que je l’ai eue au téléphone, dans un état second comme à chaque fois que je l’appelle. A sa manière,je crois qu’elle est contente de m’entendre. Et puis elle me montre de la lassitude quand je me répète et la fais répéter.

 

Valérie ne va plus voir ses parents. Mais elle continue de s’imaginer que sa vie d’aveugle intégrée dans le monde normal, le monde qui voyage, c’est d’aller, autrefois dans le désert, aujourd’hui sur le site de Verdun ou celui de fouilles archéologiques. Et ce fut aussi de m’ignorer ce matin. D’abord elle ne m’a pas reconnu. Et puis elle m’a lancé un salut très froid : « Ah  salut Julien. » Vraiment parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement, et me signifier publiquement qu’elle ne voulait plus me parler, sans davantage m’expliquer ce qu’elle me reprochait exactement.

 

Je ne suis pas homme à relever les affronts. Alors je me suis tourné vers son camarade ou ami qui croit qu’on découvre le monde en s’enfonçant dans des tranchées ou en allant dans les musées, et je lui ai dit, comme il était vrai, que j’étais l’ami d’Isabelle, la conservatrice du musée historique et du musée des Beaux-Arts de Mulhouse, qui aimerait bien avoir des contacts avec des associations de non-voyants, parce que ça fait partie de son cahier des charges de rendre les musées accessibles aux personnes handicapées. Le Patrice (ou le Philippe) ami de Valérie m’a répondu que les membres de l’association avaient tous les contacts qu’il fallait à Mulhouse, qu’ils finiraient par y faire quelque chose, qu’ils savaient en effet que le musée historique étaitdemandeur, mais qu’il fallait que l’association ait le temps. Autrement dit,ils allaient faire quelque chose avec le musée historique quand ils auraient le temps de s’occuper de cette histoire. Mais alors il faudrait que le musée historique réagisse au quart de tour.

 

Moi, je m’en fous, je n’aime pas beaucoup les musées. Isabelle m’a fait, ainsi qu’à Georges, visiter le musée historique et le musée Unterlinden de Colmar, visite qui, du fait de sa formation en histoire de l’art, ont été passionnantes. . L’histoire de Mulhouse est injustement méconnue.  C’était une République affranchie de la Suisse. Mais il y a vraiment un os dans le potage de ce militantisme différencialiste des « personnes en situation de handicap » qui passent leur vie dans les musées, lesquels doivent danser comme elles sifflent, pour reprendre une autre expression chère à franck.

 

Comme il faut que je fasse quelque chose pour la France avant qu’elle ne m’envoie le ciel me tomber sur la tête et ne m’intente un procès de lui coûter trop cher si je tombe malade, je me suis inscrit au club de tandem : des sorties de 30 kms, un peu de marche, des restaux. Si je reste un peu à Mulhouse, ça ne pourra pas me faire de mal.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire